Sahara

Cet été, au Château du Pé, je ressors mes toiles peintes dans le Sahara algérien en 2010.

 

Peindre le désert

 

 

 

« Le vide est grandeur. Il est tel l'oiseau qui chante spontanément et s'identifie à l'univers » peintre chinois

 

 

 

 

En novembre 2009, un voyage dans le désert sud algérien m'a dévoilé des paysages inouïs… une immensité dévastée comme si l'on avait arraché la peau de la Terre et qu'on la découvrait au travers des vagues de pierre et de sable figées dans un mouvement qui a emporté la vie. Plus qu'un souffle en forme de lumière. Et de ce mouvement qui s'est arrêté de fuir surgit une présence telle une caresse qui incarne les lois de l'harmonie. Le temps est découvert. Le paysage qui se présente à notre regard est à vif. Rien ne le protège. Rien ne le sépare du regard qui en parcourant les courbes de sa nudité jusqu'au mirage est projeté à l'infini. À certains endroits, des pierres immenses semblent tombées du ciel ou plutôt délicatement disposées là par des doigts artistes dans un équilibre fragile mais tellement juste... à la façon d'un jardin japonais. Difficile de ne pas devenir mystique! Le désert est spirituel comme un tableau qui décrit le coeur de ce qui fait vibrer l'âme…

 

Pour un peintre, la rencontre avec le désert est nécessairement un coup de foudre. Et quand on le quitte, il continue de résonner. On continue de l'entendre comme une impression estampée derrière les yeux. Un chant sans voix qui prolonge sa musique à travers la distance et qui insiste intimement à renouer avec lui tel un aimant, tel un amant.

 

 

 

C'est ainsi qu'en mars 2010, le coeur rempli de cette mystérieuse et puissante attirance, je suis retournée à Tamanrasset pour trois mois, seule, avec 60 kg de bagages, peinture à l'huile, chevalet, toile, pinceaux, couleurs, désir et détermination. Une mission. Celle de peindre le désert.

 

 

 

Le désert est un absolu où s'est cristallisé tout l'espoir de la vie. Il est un aboutissement. Il est un commencement. Il est la terrifiante réponse à l'espoir qui orchestre le cheminement de la vie. Il est la réponse qui tue la question. Il est la beauté qui permet de lire cette réponse. Il est la lumière, la nuance où vibre le souvenir de la vie et de la mort avant qu'elles ne se confondent, sans nostalgie aucune. Il est le souvenir libre qui vole au-delà des interprétations et de leurs doutes… il est une clarté. Et c'est avec le pinceau que j'ai désiré questionner cette beauté visible pour tenter de transmettre, par la peinture, un peu de cette essence que découvre le désert.

 

 

 

Il serait difficile de toucher l'esprit qui émane du désert sans m'intéresser à la façon dont il a épousé, au fil des siècles, l'esprit de l'homme qui l'habite, le Touareg. Mon voyage m'a présenté des hommes qui, malgré les blessures de l'histoire, conservent dans leurs gestes et leurs regards un grand raffinement. Dépouillés comme le désert, c'est leur être qui incarne l'art de leur culture. Peu séduits par le « développement » ou la « modernisation » qui menace leur existence, les Touaregs semblent évoluer dans une temporalité contemplative qui se détache des soucis du progrès à la manière d'une réponse silencieuse. La peinture elle aussi évolue aujourd'hui dans une temporalité contemplative menacée par le progrès de la technologie qui offre des satisfactions instantanées et trompeuses. Elle aussi prend la forme d'une réponse silencieuse.

 

 

 

Tamanrasset est un point au coeur du Sahara. Une ville charnière comme une lieu de passage où se croisent et parfois s'arrêtent toutes sortes de cultures livrées à la lenteur du destin. L'écriture subtile de la vie s'y dessine au rythme de l'errance. La mienne s'y arrêtait pour tendre et préparer mes toiles, s'approvisionner entre mes voyages pour peindre le désert. Un jeune guide musicien touareg a accompagné la réalisation de mon projet d'une aide précieuse. On se faisait abandonner de 6 à 8 jours au milieu des caillous du Ahaggar avec tout mon matériel et sa guitare. Fragiles, au milieu d'une immensité solide et immobile. Presque immédiatement, le vide envahit l'espace de l'esprit. Parfois une émotion vient serrer le coeur mais le rythme intransigeant du vide l'emporte presque simultanément. Un silence total. Et pourtant, la couleur de la pierre vibre. Insaisissable au point de faire rire. L'immensité qui élargit violemment le champ de la vision nous balance dans un vertige rétabli par des nuances qui font vibrer dans l'esprit des couleurs dont je n'avais jamais vécu l'expérience, sauf peut-être en rêve ou en peinture. Le désert décrit une pause sans être un intervalle dans le temps, et tout ne cesse de changer sans pour autant que l'on s'en aperçoive.

 

 

 

Dès la première lumière de l'aube, je marchais vers l'horizon et me réveillais le pinceau à la main. Un infini à faire tenir à l'intérieur d'un rectangle avec des couleurs impossibles… J'applique les couleurs au fur à mesure que je les vois jusqu'à ce que le soleil, depuis son sommet, crie danger. De midi à 16h, de retour à l'ombre, on ne bouge pas, chaleur oblige. Puis, après un de ces thés à la menthe qui savent vous tenir en vie, je relance la peinture jusqu'à ce que le soleil se couche.

 

 

 

Peindre le désert comme j'ai pu auparavant peindre à la manière impressionniste en Bulgarie ou même à Paris, fut une aventure unique et fit naître une palette inexplorée. Peu de temps après mon retour à Paris, j'ai déménagé au coeur du bocage vendéen où j'ai peint, en contraste, la fraîcheur verte de la vie comme le jardin auquel on rêve dans le désert.

 

 

 

 

 

Nadia Szczepara, avril 2011

 

 

 

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